La suspension de l’exemption de visa pour les passeports diplomatiques algériens marque un tournant dans les relations franco-algériennes. L’Élysée met fin à une complaisance jugée obsolète, sur fond d’irritants bilatéraux persistants et d’une dérive autoritaire à Alger.
Les privilèges diplomatiques dont jouissaient jusqu’alors les détenteurs de passeports officiels algériens en France appartiennent désormais au passé. Dans une lettre adressée le 6 août 2025 à son Premier ministre François Bayrou, le président Emmanuel Macron a ordonné la suspension formelle de l’accord bilatéral de 2013 qui exemptait de visa les titulaires de passeports diplomatiques et de service algériens. Une mesure d’apparence technique, mais à forte portée symbolique, qui reflète une inflexion stratégique dans l’attitude de Paris vis-à-vis d’Alger.
Le chef de l’État français évoque dans sa missive la nécessité de faire preuve de « fermeté » et de « cohérence » à l’égard d’un régime accusé d’entraver la liberté d’expression, d’entretenir une hostilité larvée envers la France, tout en continuant de tirer profit d’avantages protocolaires hérités d’une relation asymétrique d’un autre âge.
La décision ne résulte pas d’un simple différend consulaire, mais d’un faisceau de tensions accumulées au fil des mois, nourries par les postures rigides du pouvoir algérien et la crispation croissante de l’opinion française face à l’ambiguïté entretenue par Alger. Elle intervient dans un climat de refroidissement diplomatique prolongé, déjà marqué par la diminution des flux de visas ordinaires depuis 2021, la multiplication des incidents protocolaires et les déclarations hostiles de responsables algériens à l’encontre de la France.
Le traitement infligé à l’écrivain Boualem Sansal, persona non grata dans son propre pays en raison de ses critiques à l’égard du régime, et les pressions exercées sur le journaliste Christophe Gleizes, régulièrement empêché de travailler sur le territoire algérien, ont achevé de convaincre l’Élysée de la vacuité d’un dialogue basé sur la bienveillance. En s’affranchissant de l’accord de 2013, Paris ne fait pas qu’envoyer un signal fort : elle rompt avec une complaisance structurelle vis-à-vis d’un pouvoir qu’elle juge désormais peu fiable et toxique.
La fin d’un privilège à sens unique
Signé en 2013 sous la présidence de François Hollande, l’accord suspendu permettait aux hauts fonctionnaires, diplomates et titulaires de passeports spéciaux algériens de circuler librement sur le territoire français sans visa préalable. Un régime dérogatoire qui tranchait avec le traitement réservé aux citoyens algériens ordinaires, souvent confrontés à des obstacles bureaucratiques et à des taux de refus élevés.
Cette dissymétrie suscitait des interrogations croissantes dans les cercles politiques français, y compris dans les rangs centristes et sociaux-démocrates. Elle apparaissait d’autant plus injustifiable que certains bénéficiaires de cette exemption, issus des appareils sécuritaires ou politiques algériens, ont été impliqués dans des affaires de malversations ou soupçonnés d’activités de surveillance sur le sol français.
Derrière le geste technique se profile donc un message politique : la France ne souhaite plus servir de refuge ou de base arrière à une élite algérienne en perte de légitimité, mais toujours prompte à instrumentaliser son accès privilégié au territoire européen.
La suspension de l’exemption de visa diplomatique pourrait annoncer d’autres révisions dans la relation bilatérale. Elle s’inscrit dans une série de décisions visant à reconfigurer les rapports avec les anciennes puissances postcoloniales dans une optique plus équilibrée. La logique de réparations mémorielles unilatérales semble avoir atteint ses limites ; le discours français se fait désormais plus pragmatique, moins sentimental.
Il reste à savoir si cette inflexion débouchera sur une recomposition en profondeur ou sur une détérioration durable des liens franco-algériens. Dans l’immédiat, Alger devrait réagir avec virulence, dénonçant une nouvelle « provocation » française. Mais la décision de Paris pourrait aussi être perçue dans les cercles diplomatiques comme un ajustement salutaire face à un partenaire de moins en moins aligné sur les valeurs européennes, et de plus en plus en rupture avec les standards démocratiques.
Maroc diplomatique