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28 mars 2024
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[ENTRETIEN] ZLECAF : ABDOU DIOP DÉTAILLE LA DÉMARCHE À SUIVRE PAR LES ENTREPRISES MAROCAINES

Le lancement de la Zlecaf est un premier palier dans la construction d’un marché unique après deux années de négociations. Au Maroc, les actions menées avec le ministère de l’Industrie et du Commerce se poursuivent. Une opportunité réelle pour le tissu économique marocaine à condition de ne pas y aller tous azimuts.

Abdou Diop, Managing Partner de Mazars et Président de la Commission Afrique au sein de la CGEM détaille la démarche structurée à adopter par les entreprises marocaines intéressées par le marché unique africain.

EcoActu.ma : La Zlecaf a été lancée officiellement ce 1er janvier 2021. Mais concrètement, qu’est ce qui a été lancé au juste ?
Abdou Diop : Le lancement de la ZLECAF ce 1er janvier 2021 traduit la volonté politique de démarrer avec les pays qui ont signé, ratifié et présenté une offre de produits pour la construction de ce marché unique.
Concrètement est-ce que les opérations de trade (échanges commerciaux) ont démarré dans le cadre de la Zlecaf ? C’est en cours parce qu’il y a un nombre de prérequis nécessaires notamment la typologie des documents, mais c’est un lancement pour marquer une date et une volonté politique continentale.
Je pense que c’est au fur et à mesure que nous aurons plus de ratifications, plus d’offres de produits qu’ on aura une mise en œuvre plus large de ce marché en devenir.
La Zlecaf réunit 54 pays africains aussi différents, quid de la convergence réglementaire du commerce, du régime de change…
J’aimerai nuancer pour dire que la Zlecaf ne se construit pas sur un vide, puisque les communautés économiques régionales africaines avaient déjà entamé un travail de convergence réglementaire, de normes, de régime de change…
Dans ce sens la ZLECAF est plus une consolidation qu’une création à partir de rien.
Dans cette construction, il y a des sujets sur lesquels on est bien avancé notamment ce qui rentre dans le périmètre de la Zlecaf à savoir 80 % des lignes tarifaires démantelées au départ, plus les 7 % à démanteler progressivement et les 3 % protégés. C’est un premier consensus.
Un deuxième consensus est en cours concernant les règles d’origine sur un certain nombre de lignes tarifaires, les discussions en cours dégagent un accord sur plus de 70 % des règles d’origine. C’est un deuxième acquis.
Il y a également d’autres éléments en discussion qui viendront compléter le dispositif, la protection des investissements, de la propriété intellectuelle et industrielle avec une harmonisation des règles entre les différents pays signataires. Et bien sûr les discussions sur les services.
A côté de cela deux points structurants font l’objet de concertation, notamment les flux de capitaux et de personnes. Sur ce dernier point, la libre circulation des personnes tarde à avoir le nombre nécessaire de signatures.
Encore une fois, il y a lieu de rappeler que nous sommes face à un marché unique d’une taille aussi importante et qui doit prendre du temps pour être pleinement opérationnel et mis en œuvre.
Ce lancement intervient deux ans après le démarrage des négociations sur la Zlefac et ce n’est rien comparativement à la durée des discussions comme pour le marché européen. Donc, on a encore du temps pour compléter la construction de ce marché unique africain.
Justement quid de la résolution des différends qui peuvent survenir entre pays dans le cadre de la ZLECAF ?
Dans cette perspective, il y a la mise en œuvre de la Cour d’arbitrage africaine qui est aussi en progression. Maintenant, quelle configuration aura-t-elle ? Il n’y a pas encore de visibilité là-dessus mais c’est dans le pipe.
Concrètement, une entreprise marocaine intéressée par ce marché unique, quelle serait la démarche la plus appropriée qu’elle doit adopter ? Et à quel interlocuteur peut-elle s’adresser ?  
Dans un premier temps, il faut comprendre qu’est-ce qu’une entreprise peut tirer de la Zlecaf. Je citerai trois éléments fondamentaux.
D’abord, elle aura accès à un marché large. Il y a des entreprises qui vont profiter de cette ouverture de nouveaux marchés larges et sans droits de douane.
Ensuite, ces 53 autres pays signataires de la ZLECAF sont autant de sources d’approvisionnement pour sa production à moindre coût sur le continent, avec moins de droits de douane ce qui plaide en faveur de l’émergence de nouvelles chaines régionales.
Enfin, pour une industrie marocaine, la Zlecaf offre l’opportunité de créer des chaines de valeur industrielle complémentaires dans d’autres pays africains. Le cas du textile marocain qui avec un acteur local peut créer une industrie continentale de la filature localement à partir du coton en joint-venture ou toute forme de partenariat avec des acteurs d’autres pays.
Pour la démarche la plus opportune, l’entreprise doit être attentive aux facteurs intrinsèques et externes.
Ainsi, l’entreprise doit d’abord s’assurer de l’existence d’une véritable volonté de se développer sur le continent, et d’avoir les moyens d’abord humains et financiers nécessaires pour cette ambition.
Pour les facteurs externes, il faut trouver l’information notamment auprès d’une première source qu’est le ministère de l’Industrie et du Commerce puisqu’il pilote d’une part la dynamique et mène les concertations avec les différentes fédérations sectorielles et les différentes organisations du secteur privé.
C’est un élément important. Dans ce sillage, un travail est en cours au sein du ministère pour permettre plus de visibilité aux acteurs de ce que représente ce marché unique.
Il y a évidemment les organisations professionnelles, notamment la CGEM, l’Asmex… parties prenantes de cette dynamique et qui ont des entreprises affiliées sur le terrain pour pouvoir justement se renseigner.
En troisième lieu, l’entreprise peut avoir l’information auprès de son expert-comptable, son cabinet de conseil ou auprès du secteur bancaire… ou encore des cabinets de veille et de data avant de prendre toute décision.
La question lancinante pour une entreprise est justement comment mesurer le risque pays et protéger son investissement ?
Ces questions font l’objet d’un travail mené par l’AMDIE pour réaliser des fiches pays. Mais chaque entité doit faire un travail de veille qui soit à la dimension de ses moyens.
Si on est une petite PME, il faut au moins s’approcher des organismes concernés que ce soit le ministère, l’AMDIE, la CGEM, l’Asmex pour solliciter l’information.
Et si l’on a plus de moyens, il faut mettre à contribution les cabinets de conseil ou banquier dans le cadre d’une démarche structurée et non à l’aveuglette.
Il faut absolument se convaincre que cette entreprise se déploie sur des marchés très intéressants mais pas simples, qui nécessitent préparation, accompagnement et mesure du risque pour tirer le meilleur profit de cette dynamique.
La Zlecaf offre-t-elle les mêmes opportunités selon qu’on soit TPE, PME, GE ou multinationale ou serait-ce une bataille à armes inégales ?
Je pense que des potentialités existent pour tout le monde. Aujourd’hui, une TPE, pour prendre l’exemple des producteurs individuels des régions agrumicoles du sud du Maroc, arrive à exporter de manière informelle vers des pays comme la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Burkina ou la Côte-d’Ivoire des agrumes.
Avec la Zlecaf, elle peut le faire de manière plus structurée et formelle et sans droits de douane. Donc tout acteur peut tirer profit de cette dynamique quelle que soit la taille de l’entreprise.
Aussi, une grande entreprise qui se développe en Afrique, peut-elle tirer tout l’écosystème avec un effet d’entrainement.
Sur les intrants aussi, une PME qui produit du jus peut importer de la matière première à meilleur prix grâce à la Zlecaf et donc gagner en compétitivité.
Ce n’est pas une question de taille mais dès que le marché devient plus large et plus accessible, il va attirer plus de monde et créer de la valeur.
En plus, les grandes entreprises vont produire de l’effet volume qui va réduire les coûts de logistiques dont vont bénéficier les petites entreprises quelle que soit leur taille.
Toute est question de vision, de volonté, d’organisation et de déploiement structuré
A contrario, la Zlefac offre-t-elle les mêmes opportunités aux pays signataires et à des degrés d’industrialisation différenciés ?
Difficile d’avoir une égalité dans un accord de cette nature parce que les différents pays ont des situations différentes, mais ce qui est certain c’est que pour que la ZLECAF soit opérationnelle, il faut qu’il y ait des produits échangés.
Donc les pays qui ont le plus de produits à vendre seront les premiers à bénéficier de cette dynamique notamment les pays les plus industrialisés.
Mais progressivement les pays les moins industrialisés trouveront un potentiel important à transformer leurs produits et à créer une industrie car ils ont en face un marché large. Donc on aura progressivement un développement de l’industrialisation dans différents pays du continent, pour atteindre l’objectif de transformation du continent.
En votre qualité du Président de la Commission Afrique au sein de la CGEM, quelles sont les actions à mener par l’organisation patronale pour mieux vulgariser et informer des opportunités qu’offre la Zlecaf ?
Un premier travail a été fait dans le cadre de la concertation menée depuis deux ans en préparation du lancement de la Zlecaf, et un deuxième travail est en préparation en partenariat avec l’Asmex pour faire de la communication et de la formation dans les différentes régions du Maroc.
Mais cela se fera au fur et à mesure que nous avançons progressivement dans l’élaboration d’une offre marocaine. Il faut laisser le temps à la structuration de la démarche et de l’offre Maroc par le ministère du commerce.
Un label de l’offre Maroc en projet ?
Aujourd’hui, dans le cadre de la Zlecaf le « Made in Morocco » et le « Made with Morocco » revêtent une grande importance. De même que le made in Africa, with Africa et by Africa faisant respectivement référence au renforcement de la production en Afrique, à la construction d’une plus grande chaîne de valeur régionale faisant partie de la chaîne mondiale de valeur, et aussi pour dire que toute cette dynamique doit se faire avec des Africains et non pas qu’avec d’autres pays d’autres continents.

Interviewé par Imane Bouhrara I

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