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20 avril 2024
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Stress hydrique : Ce que doit faire le Maroc pour passer le cap (vidéo)

Le Maroc est passé d’un exercice de gestion du risque à carrément une gestion de crise.  Le changement climatique, couplé à un déficit pluviométrique structurel et une           consommation galopante des ressources en eau, fait entrer le pays dans un quasi sinistre hydrique. Face à cette problématique, l’État planificateur et gestionnaire de l’or bleu  multiplie, certes, les solutions et initiatives devant lui permettre de sécuriser ses    ressources hydriques et, mieux, les viabiliser. Mais, pour les experts, les              investissements programmés pour la mobilisation des eaux non conventionnelles et le      renforcement de l’infrastructure des eaux conventionnelles sont nécessaires, mais pas    suffisants. Car,suggèrent-ils, le pays a tout aussi intérêt à agir sur les causes ayant  enclenché la     crise. Le modèle agricole est ainsi pointé du doigt aux côtés d’autres  facteurs comme la déperdition des ressources et la consommation anarchique.
Ce n’est plus un risque, c’est désormais une âpre réalité. Le Maroc, à l’instar d’autres pays à travers le globe, est entré dans un cycle de stress hydrique. La problématique est en train de prendre des envergures tellement inquiétantes que de nombreuses régions du pays ont observé, l’été écoulé, des réductions de débit, voire carrément des coupures d’eau. Face à cette situation, l’État multiplie les projets et étudie les différentes options devant lui permettre de sortir la tête de l’eau en rationalisant la consommation de l’or bleu dans les différents secteurs de l’économie. L’une des options que le pays doit inéluctablement entreprendre est la révision substantielle de la tarification de l’eau, aussi bien pour l’agriculture et l’industrie que pour les ménages des tranches 3, 4 et 5. Mais comment en est-on arrivé là ? Sur quelles causes faut-il agir en priorité ? Quelles solutions pour sécuriser les ressources en eau et en garantir la durabilité ? Des questions qui ont été largement abordées dans le cadre de la Matinale organisée par Groupe «Le Matin», le 13 octobre à Casablanca, sur la thématique de la pénurie de l’eau au Maroc.
Pour Mohamed Taher Srairi, professeur à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II (IAV), il ne faut pas se voiler la face. Si le Maroc vit aujourd’hui une crise d’eau, c’est que ses réserves stratégiques, essentiellement les nappes phréatiques, ont été épuisées. Motif, la succession des cycles de sécheresses ont eu comme corollaire une intensification du pompage notamment en agriculture. Un secteur que le professeur universitaire place en tête des secteurs hautement consommateurs d’eau, pesant, selon lui, pour près de 85% de la consommation nationale. «Nous sortons d’une mauvaise année agricole à cause de la sécheresse.
Cette situation, couplée à l’envolée des prix de l’énergie à l’international, a eu comme conséquence une très forte sollicitation des nappes phréatiques. Valeur aujourd’hui, ces réserves risquent de s’assécher et faute d’une bonne pluviométrie, elles ne se renouvellent pas», alerte l’expert. Srairi pousse le raisonnement un peu plus loin, soutenant que la problématique de la raréfaction des ressources hydriques ne doit pas surprendre puisqu’elle constitue l’aboutissement naturel d’un long processus de reconversion des périmètres agricoles à l’irrigation.
L’agriculture, 25% ou 85% de la consommation nationale ?
«L’eau domestique ne représente que 10% dans le total des volumes consommés dans le pays. La part du lion revient donc à l’agriculture. Pour savoir comment on en est arrivé là, il faut un peu d’Histoire. Avant la colonisation, l’essentiel de l’usage de l’eau au Maroc dépendait du ciel et des nappes phréatiques. Et les cultures étaient Bour. Avec la colonisation émerge l’irrigation notamment dans les périmètres fertiles du pays comme le Gharb et le Tadla afin d’intensifier la production agricole pour les besoins des puissances colonisatrices», soutient l’agronome. Les tarifs de l’eau appliqués à ces périmètres n’ont pratiquement pas évolué depuis, poursuit Srairi. Le problème, selon lui, est que le Maroc a maintenu et poursuivi ce «mythe» d’intensification de l’irrigation en pensant que cela sauverait l’agriculture marocaine. «Or, en réalité, les chiffres sur les périmètres équipés en infrastructures d’irrigation couvrent à peine 15% de la surface utile agricole du pays», déplore-t-il. Le fait est que l’on est arrivé, à l’en croire, aux limites de l’irrigation. «Je dirais même qu’on est en train d’effectuer un retour en arrière puisque des zones autrefois irriguées ne le sont plus aujourd’hui. Les barrages sont à sec», relève Srairi.
L’analyse du professeur a fait vivement réagir Mohamed Ouhssain, chef de la division de la Promotion et de la régulation des PPP en irrigation au sein du département de l’Agriculture. Le responsable estime que les données fournies par l’expert Srairi sont totalement «fausses». Selon lui, le postulat soutenant que l’agriculture tient la corde des secteurs fortement consommateurs d’eau n’est pas fondé. «N’induisons pas les gens en erreur ! Depuis le commencement de l’irrigation au Maroc, les dotations allouées à l’agriculture sont de l’ordre de 12 milliards de m³. Et l’on n’a jamais satisfait totalement cette demande. Depuis 1968 à nos jours, on avait toujours un déficit de 50 à 90% sur les dotations allouées à ce secteur», argue Ouhssain. Selon ses données, la consommation d’eau en agriculture ne dépasse pas les 4 milliards de m³ par an. Et dans les meilleures années, l’on frôle à peine les 5 milliards. «Le calcul est clair : le secteur agricole draine 4 milliards de m³ sur les 19 mobilisables à partir des barrages. C’est donc à peine 25%. L’on en est bien loin des 85% attribués à l’activité agricole», assène-t-il. Monsieur PPP en irrigation du ministère rejette par ailleurs avec vigueur l’idée que le Royaume exporte ses eaux dans les fruits et légumes. Pour le prouver, assure-t-il, il faut avoir procédé à un bilan scientifique très précis sur l’eau exportée dans ces expéditions agricoles vers l’étranger.
Le Maroc, importateur d’eau virtuelle à travers les contingents de céréales
À en croire le responsable ministériel, c’est l’inverse qui est constaté : le Maroc est plutôt un importateur net de 7 milliards de m³ par an, soit la moitié de la capacité de mobilisation du pays. Un état de fait que partage l’expert agronome, Srairi, qui assure que le Royaume importe de l’eau virtuelle à travers les contingents de céréales qu’il réceptionne chaque année. Le concept est simple : les productions céréalières qui affluent au Maroc sont issues de cultures irriguées dans les pays exportateurs.
Sur la question de l’épuisement des nappes phréatiques, Ouhssain émet un point de vue qui s’oppose à celui de Srairi. En effet, explique le responsable ministériel, le Maroc ne dispose pas d’un grand potentiel en ressources souterraines. «Notre potentiel en eau souterraine se chiffre dans les meilleurs des cas à 4 milliards de m³ par an. Ce qui constitue seulement 18% de nos potentiels en eau qui sont estimés à 22 milliards de m³», détaille Ouhssain. En réaction aux avis qui vouent aux gémonies le Plan Maroc vert et son supposé impact sur les ressources en eau, l’ingénieur du département de l’Agriculture affirme que cette stratégie n’est pas à l’origine de la crise de l’eau que nous vivons au Maroc.
«Contrairement à ce qui est véhiculé ici et là, cette feuille de route a permis au Royaume d’assurer sa sécurité alimentaire au moment où des pays ont vécu des pénuries de fruits et légumes pendant la crise de la Covid», insiste le responsable. Ouhssain a, en outre, vivement défendu la culture de la pastèque qui n’a pas échappé aux procès intentés aux filières agricoles jugées fortement consommatrices d’eau. Il affirme, chiffres à l’appui, que cette culture ne couvre que 4.000 ha dans la région de Zagora et sa consommation d’eau ne dépasse pas les 4.000 m³ par saison. Comparée aux céréales ou encore aux palmiers dattiers, la culture de la pastèque consomme 3 à 5 fois moins à l’hectare. Pour Ouhssain, si l’État a décidé récemment de retirer les subventions pour certaines cultures consommatrices d’eau, c’est uniquement dans l’objectif d’en limiter l’extension dans leurs zones d’implantation et, partant, en maintenir l’avantage économique.
La crise de l’eau a permis de re-paramétrer les investissements
Mohamed Jalil, expert en développement durable et changement climatique, qui était de la partie, appréhende la crise de l’eau sous un angle de mondialisation du phénomène. Selon lui, le Maroc n’est pas en dehors d’un écosystème mondial qui vit actuellement des perturbations multidimensionnelles. Concrètement, l’expert avance que la crise de l’eau que connaît le Maroc est aussi vécue ailleurs avec des degrés d’intensité variés. La problématique est, selon son analyse, liée, en partie, au changement climatique et aux crises de la Covid et aux tensions géopolitiques. En plus de ces facteurs, la sécheresse que le Royaume a vécue cette année n’était qu’un prolongement d’épisodes de faible pluviométrie sur les cinq dernières années. «Cette sécheresse a nourri les tensions sur le processus de gestion des ressources en eau puisqu’on est passé d’un exercice de gestion de risque à celui de gestion de crise», assure Jalil.
Et le Maroc n’est pas le seul à évoluer dans une telle configuration. Même en France, souligne l’expert, des camions-citernes sillonnaient, l’été écoulé certaines zones vivant des sinistres hydriques.   Si la crise de l’eau que vit le Maroc aujourd’hui devait avoir une vertu, c’est qu’elle aura permis au pays de re-paramétrer ses investissements dans le secteur. C’est l’avis du directeur de la Recherche et de la planification de l’eau au département de l’Équipement, Abdelaziz Zerouali.  «Je pense que si l’on avait cette année un bon cycle pluviométrique, l’on aurait certainement reporté les investissements destinés à mobiliser davantage de ressources afin de garantir la sécurité hydrique du pays notamment les stations de dessalement dont un bon nombre était programmé il y a déjà des années», lance le responsable. À l’en croire, l’aménagement de la plateforme de dessalement de Casablanca par exemple était planifié depuis 2010. Devait  suivre en 2015 celle de l’Oriental.
La révision de la tarification, inéluctable !
La révision de la tarification de l’eau est une option qui s’imposera à coup sûr dans le futur. De l’avis de l’ensemble des participants à la Matinale, cette solution devrait permettre non seulement de changer le comportement de consommation de l’eau, mais aussi de générer des fonds pour le financement de projets de mobilisation de l’eau non conventionnelle, comme le dessalement de l’eau de mer. Pour l’expert en développement durable, Mohamed Jalil, l’augmentation des tarifs de l’eau s’avère une équation extrêmement difficile dans laquelle l’État devra prendre en considération plusieurs paramètres, dont l’ordre public, l’intérêt général et la paix sociale.  «Aujourd’hui, dans la tarification en vigueur, il y a une réalité, à savoir celle du prix coûtant lié aux facteurs de production. Quand on produit de l’eau conventionnelle (traitement à partir d’un barrage, transport, etc.), l’on consomme de l’énergie. Cela a donc un coût. Avec le dessalement de l’eau de mer, le prix coûtant serait beaucoup plus proportionnel, eu égard au processus de traitement de ce type de ressources jugé hautement énergivore», détaille Jalil. Par exemple, illustre-t-il, le coût de production de 1 m³ à partir de l’eau de mer serait constitué à hauteur de 45% par les prix de l’énergie. Résultat, à un moment donné, l’État sera dans l’obligation de voir la réalité en face et augmentera les tarifs à la consommation», estime l’expert.
Dessalement de l’eau de mer : attention à l’environnement !
S’il est vrai que la révision des tarifs figure parmi les solutions à la crise de l’eau au Maroc, comme l’a vivement suggéré récemment la Banque mondiale dans son rapport de suivi de l’économie marocaine et, un peu avant, par le nouveau modèle de développement, Abdelaziz Zerouali soutient que le pays n’est pas encore dans une configuration nécessitant cette intervention sur les tarifs. Selon lui, l’État n’a jamais impacté par le passé les prix aux consommateurs suite à une envolée des coûts de production de l’eau potable. L’écart était et est toujours subventionné. «Aujourd’hui, nous avons des investissements beaucoup plus importants qui devront permettre d’assurer la sécurité hydrique du pays. Le dessalement de l’eau de mer, qui figure en bonne place dans la stratégie nationale de l’eau, coûte cher, essentiellement en raison des prix de l’énergie.
Ce qui impliquera dans le futur une révision de la tarification», affirme le responsable du département de l’Eau. Zerouali assure toutefois que cette révision ne touchera pas les tranches inférieures, c’est-à-dire les ménages dont la consommation d’eau potable ne dépasse pas les 6 m³ par mois. Seront ciblées plutôt, selon lui, les consommations les plus importantes dépassant les troisième et quatrième tranches, en plus de secteurs fortement consommateurs comme le tourisme, l’industrie, l’agriculture et d’autres branches de l’économie.
La capitale économique du Royaume, Casablanca, qui vit bel et bien une crise de l’eau actuellement, devra prendre son mal en patience et attendre jusqu’en 2026 pour voir couler les premiers mètres cubes produits par sa station de dessalement. Au-delà de cette date, une révision des tarifs pour toute la région devra être actée. Pour l’expert en développement durable, Mohamed Jalil, comme pour l’ingénieur-agronome Mohamed Teher Sraïri, le Maroc qui multiplie les stations de dessalement en réponse à la crise de l’eau doit absolument en rationaliser l’installation à travers le littoral. Car, estiment les deux experts, en plus de leurs coûts très élevés, ces infrastructures ont des impacts néfastes sur l’écosystème environnemental, eu égard aux quantités de saumure qu’elles dégagent suite au traitement des eaux de mer. L’idéal, selon eux, serait de diversifier les solutions comme le captage des eaux des crues, la rationalisation de la consommation et l’adoption de cultures résilientes et peu consommatrices d’eau.
L’empreinte de l’eau, une clé pour la rationalisation  des ressources
La rationalisation de l’utilisation des ressources hydriques passera, entre autres, par la mise en place d’une empreinte de l’eau. C’est ce que suggère l’expert en développement durable, Mohamed Jalil. Il s’agit, en effet, d’engager des audits afin d’établir de manière précise la consommation de l’eau par les différentes cultures en agriculture et aussi pour les autres secteurs de l’économie. Ce qui permettra de calculer la consommation de chaque activité et agir en conséquence. Jalil recommande, par ailleurs, l’actualisation de toute la data en rapport avec les ressources hydriques au Maroc.
L’expert affirme que malgré les données existantes et qui méritent d’être actualisées, beaucoup de déserts d’information sont à relever dans certaines zones du Royaume. «C’est un exercice qui n’incombe pas à l’État seul. Le processus de production de cette information sur les ressources hydriques devra impliquer aussi les collectivités territoriales, le secteur privé et la société civile», souligne Jalil. Cette mine d’informations ainsi constituée devrait, selon lui, servir de base à l’instauration d’une comptabilité nationale de l’eau. C’est ainsi que le pays pourra calculer chaque année ses ressources, leurs coûts de mobilisation, de traitement et de transport et ajuster ses prises de décision en conséquence.
Cette problématique du «désert d’informations» sur l’eau ne laisse pas Abdelaziz Zerouali du département de l’Eau indifférent. Le responsable rétorque : «c’est totalement faux !» Au contraire, assure-t-il, nos ressources en eau sont très bien connues. «D’ailleurs, nous avons procédé à une première actualisation des données sur l’eau en 2007-2008 et nous sommes en train de préparer de nouvelles statistiques qui seront publiées très prochainement. Aux yeux du responsable, le vrai problème n’est pas le manque d’informations, mais c’est le changement climatique qui a comme conséquence une baisse tendancielle de pluviométrie et, partant, une raréfaction des ressources. Maintenant tout ce qui est technique, planification et gestion, l’État sait très bien le faire. L’important est que l’usager, qu’il soit particulier, agriculteur ou entreprise, doit ainsi être conscient de la problématique en adoptant des comportements éco-responsables», souligne Zerouali.
Saïd Naoumi

le Matin

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