Au croisement des ambitions géopolitiques et des aspirations éthiques, la finance islamique trace discrètement sa voie au Maroc, entre promesses de développement et défis structurels. Six ans après l’ouverture des premières banques participatives, le Royaume affiche 33,8 milliards de dirhams de financements accordés, mais le chemin vers une véritable transformation reste semé d’embûches.
En lançant les banques participatives en 2017, le Maroc n’a pas seulement répondu à une demande sociétale d’éthique financière : il a fait un pari stratégique, notamment celui d’affirmer sa place comme carrefour économique entre l’Afrique, le monde arabe et l’Occident. Depuis, une révolution silencieuse est en marche. Si les chiffres restent modestes comparés aux poids lourds du Golfe, les avancées sont réelles et portent les germes d’une transformation plus large
En effet, la finance islamique au Maroc est encadrée depuis 2015 par la loi n° 103.12, et ce n’est qu’en 2017 que Bank Al-Maghrib a agréé cinq banques participatives et trois fenêtres islamiques (BMCI Najmah, Arreda, Dar Al Aman). Parmi les établissements principaux figurent Umnia Bank (filiale du CIH et du Qatar International Islamic Bank), BTI Bank (BMCE et Al Baraka Group) et Al Yousr (BCP et Guidance Financial).
Des résultats encourageants mais une part de marché encore marginale
En 2024, les banques participatives ont atteint pour la première fois l’équilibre financier, selon le rapport annuel 2024 de Bank Al-Maghrib. En effet, le volume total des financements s’élève à 33,8 milliards de dirhams, dont près de 79 % via la Mourabaha immobilière en 2024. Les dépôts ont augmenté de 30,5 % en 2023 pour atteindre 15,8 milliards de dirhams. Les indicateurs de solidité sont rassurants, notamment le ratio de liquidité de 195 %, solvabilité de 16,2 %, et fonds propres de catégorie 1 à 13,5 %. Le réseau compte désormais 206 agences, concentrées dans les régions de Casablanca-Settat, Rabat-Salé-Kénitra et Fès-Meknès. Cependant, malgré cette progression, la finance islamique ne représente que 6 % des actifs bancaires au Maroc, loin derrière les 70–80 % observés dans les pays du Golfe, selon les chiffres du Centre marocain de conjoncture publié le 18 janvier 2023.
Au-delà des chiffres, ce modèle porte une ambition régionale. Le Maroc, à travers Casablanca Finance City, joue la carte de l’intégration africaine en signant des accords de coopération avec des institutions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). La présence de partenaires du Golfe (comme le Qatar International Islamic Bank, Al Baraka ou ICD (filiale de la BID)) contribue à transférer des savoir-faire en finance conforme à la charia tout en attirant des capitaux en quête de diversification hors hydrocarbures.
Par ailleurs, selon des informations relayées par les médias, le pays tente également de développer son marché des Sukuk. Un premier sukuk souverain a été émis en 2018, mais aucune autre opération n’a suivi. Toutefois, le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, a annoncé à Bloomberg en juillet 2024 l’émission d’une nouvelle obligation islamique avant la fin de l’année, dans le cadre des préparatifs pour la Coupe du monde 2030.
Des défis internes qui freinent l’essor
Mais l’élan est freiné par plusieurs obstacles. Selon les médias, la quasi-totalité des financements reste concentrée sur la Mourabaha, limitant la diversité des produits. Les formules comme la Moucharaka ou l’Istisna’a sont encore marginales, malgré leur potentiel dans l’industrie et l’agriculture. De plus, l’absence d’un marché monétaire islamique, le retard du Takaful (assurance islamique), et une fiscalité peu adaptée ralentissent la maturité du système.
En outre, la sensibilisation du public reste un enjeu central. Selon les mêmes sources, beaucoup de Marocains ignorent encore les différences fondamentales entre les produits participatifs et classiques. Le marketing à tonalité religieuse fait aussi l’objet de critiques, certains y voyant un discours en décalage avec les enjeux économiques réels.
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