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9 septembre 2025
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Entretien : Transformation numérique : Taoufik Aboudia met en avant la jeunesse comme moteur du changement

La régionalisation avancée s’impose aujourd’hui comme l’un des chantiers stratégiques majeurs du Royaume. Or, sa réussite passe inévitablement par le digital, devenu un levier incontournable pour transformer les territoires, rapprocher les services des citoyens et ouvrir de nouvelles perspectives économiques et sociales. Par ailleurs, dans cet entretien accordé à Maroc Diplomatique, Taoufik Aboudia, vice-président général régional de la CGEM Marrakech-Safi et président de l’Instance consultative des politiques intégrées de la jeunesse Marrakech-Safi, met en lumière le rôle central du numérique dans la compétitivité territoriale, l’inclusion des jeunes et du monde rural, ainsi que les partenariats indispensables pour en faire un véritable outil de cohésion et de prospérité.
Maroc Diplomatique : Lors des dernières Assises de la Régionalisation Avancée, le digital a été reconnu comme la 6ᵉ colonne prioritaire. Selon vous, pourquoi occupe-t-il aujourd’hui une place essentielle dans la réussite de ce chantier au Maroc ?
Taoufik Aboudia : En tant que président de l’Instance consultative des politiques intégrées des jeunes Marrakech-Safi et vice-président général régional de la CGEM Marrakech-Safi, je constate chaque jour que le digital est devenu la colonne vertébrale invisible de la compétitivité territoriale. Le discours de Sa Majesté l’a rappelé avec force : aucun développement régional ne peut se prétendre complet si le rural et la jeunesse ne sont pas pleinement intégrés. C’est là que réside le défi, mais aussi l’opportunité. Le digital n’est plus seulement un outil, il est le pont qui relie les territoires, efface les distances et démocratise l’accès au futur. Il permet à un artisan d’un douar d’El Haouz de vendre à Casablanca, à une coopérative rurale de s’ouvrir aux marchés internationaux ou à un jeune diplômé de province de travailler pour un grand groupe sans quitter sa région. C’est précisément ce lien qu’EBF tisse avec ses partenaires, en plaçant le digital au cœur d’une vision où inclusion et compétitivité avancent de pair.
Quels leviers numériques peuvent, selon vous, accélérer efficacement la mise en œuvre e la Régionalisation Avancée ?
Notre stratégie s’appuie sur deux axes indissociables. Le premier concerne la formation et la capacitance des jeunes, qui ne se limite pas à l’acquisition de compétences techniques mais inclut l’employabilité, l’insertion économique et l’accès direct au marché. C’est l’esprit qui animait notre programme des Ambassadrices Numériques avec l’UNDP, où de jeunes femmes rurales sont devenues des relais digitaux dans leurs communautés, générant une augmentation tangible des revenus et une véritable autonomie économique. Le second axe touche à la transformation des acteurs socio-économiques du territoire. En tant que partenaire de la digitalisation des membres de la CGEM Marrakech-Safi, nous avons créé les Kiosques de Transformation Digitale comme guichets uniques pour les entreprises, coopératives, associations et institutions. Ces espaces leur permettent d’améliorer leur présence en ligne, de produire des contenus professionnels, de structurer leur marketing digital et d’intégrer des réseaux économiques plus larges. L’initiative Medinas of Talents s’inscrit dans cette logique, en associant patrimoine, savoir-faire et opportunités digitales pour créer de nouvelles dynamiques économiques.
Dans votre expérience, quels obstacles ou freins majeurs entravent actuellement la transformation digitale des collectivités territoriales ?
Le premier frein reste la fragmentation. Les initiatives sont nombreuses et souvent pertinentes, mais elles manquent de connexions entre elles. C’est ce constat qui a guidé notre collaboration avec la GIZ et le dispositif COPERE, porté par la région Marrakech-Safi et ses principaux acteurs de l’accompagnement entrepreneurial. Nous avons mis à disposition notre plateforme founders.ma pour qu’elle devienne un bien commun, un socle partagé par tout l’écosystème régional. Un autre frein majeur concerne l’accès des jeunes talents à la commande publique. Trop souvent jugés trop jeunes ou insuffisamment préparés, ils se voient écartés d’opportunités structurantes. Les Kiosques de Transformation Digitale jouent ici un rôle clé, en les intégrant à des réponses à des appels d’offres ambitieux, comme ceux de la SRM Marrakech-Safi ou du Centre Régional d’Investissement, leur offrant à la fois un tremplin et une reconnaissance institutionnelle.
Comment le digital peut-il renforcer la participation citoyenne et améliorer la transparence dans la gouvernance régionale ?
L’exemple du Pass Jeunes, développé avec le ministère de la Jeunesse, est particulièrement parlant. En tant que président de l’Instance consultative de jeunesse, j’y vois bien plus qu’une application : c’est l’une des premières vraies startups d’État marocaines. Elle permet de connecter des millions de jeunes à des services culturels, sportifs, éducatifs et de transport, tout en ouvrant la voie à une évolution vers une super-application nationale intégrant des mini-apps publiques et privées. Avec une cible de dix millions de jeunes, elle pourrait devenir un véritable catalyseur de la digitalisation territoriale et un outil concret pour renforcer la transparence et l’accessibilité des services.
À votre sens, quels types de partenariats stratégiques devraient être développés afin de soutenir durablement la transition numérique au niveau régional ?
Les réussites que nous avons connues montrent que la force du digital réside dans la capacité à fédérer. Avec la Near East Foundation et le Conseil Régional du Tourisme Marrakech-Safi, nous avons intégré de nouveaux circuits touristiques dans la province d’El Haouz, en y associant subtilement les coopératives que nous accompagnons dans nos programmes d’incubation. Ces coopératives ont été inscrites sur Google Maps, dotées d’un narratif expérientiel pour valoriser leurs produits, accompagnées dans la mise en place de catalogues via WhatsApp Business, avec shootings professionnels réalisés par notre Studio EBF, et formées au marketing digital. Certaines ont vu leur chiffre d’affaires multiplié par dix. Avec la GIZ et COPERE, nous avons mutualisé des outils numériques au service de tout l’écosystème. Avec le ministère de la Jeunesse, la SRM, le CRI, … nous permettons à de jeunes startups d’accéder à des marchés publics structurants. Et avec l’association Turath, dont j’ai la chance d’être membre d’honneur, nous engageons un chantier ambitieux de digitalisation de la gestion du patrimoine, pour conjuguer efficacité et intégration culturelle dans le développement territorial.
Quels indicateurs pertinents permettront d’évaluer et de mesurer l’impact réel du digital sur la réussite du chantier de la Régionalisation Avancée ?
L’impact ne se résume pas à des chiffres, mais certains indicateurs sont essentiels pour vérifier que nous allons dans la bonne direction. L’insertion économique des jeunes, mesurée par les taux d’emploi, la création d’entreprises, la croissance des revenus et le maintien des talents dans les territoires, reste l’un des plus significatifs. La transformation des acteurs locaux, qu’il s’agisse de TPE, de coopératives ou d’associations, se lit dans l’évolution de leurs performances économiques et dans leur capacité à accéder à de nouveaux marchés. Enfin, la fluidité et l’interopérabilité des services numériques, publics comme privés, témoignent de la maturité de l’écosystème et de sa capacité à servir l’ensemble des citoyens. C’est précisément ce que nous avons voulu illustrer avec le projet Data Sidi Ghanem, où nous avons mené un scoring approfondi de la maturité digitale auprès de près de cinq cents acteurs du quartier industriel. Ce diagnostic a révélé, à l’échelle d’un territoire certes restreint mais économiquement stratégique, un panorama précis des menaces et des opportunités qu’offre le digital. Cette approche nous permet non seulement d’orienter des plans d’action ciblés, mais aussi d’expérimenter, en miniature, des méthodologies réplicables à l’échelle régionale ou nationale.
Comment parvenez-vous à articuler économie, culture et innovation grâce au digital pour renforcer l’inclusion et le développement des territoires au Maroc ?
Réunir mes fonctions, entre autres, de président de l’Instance consultative de jeunesse, de vice-président général régional de la CGEM Marrakech-Safi et de membre d’honneur de Turath m’oblige à relier économie, culture et innovation dans une même vision. Avec EBF, nous œuvrons à démocratiser l’accès au futur par le digital, en formant et insérant les jeunes, en accompagnant la transformation des acteurs socio-économiques, et en construisant des plateformes ouvertes et durables qui servent à la fois l’inclusion, la compétitivité et le rayonnement culturel des territoires. Le digital devient ainsi un outil de cohésion et de prospérité, capable de donner à chaque territoire les moyens d’écrire sa propre page dans l’avenir du Royaume.

Maroc diplomatique

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