Il plane sur la scène politique marocaine une torpeur familière, une sorte d’immobilisme feutré que rien, ni le temps, ni les discours, ni même l’impatience du pays, ne semble pouvoir ébranler. Ce samedi, à Bouznika, Driss Lachgar a été réélu Premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) pour un quatrième mandat. Quatrième.
Une victoire obtenue à la majorité absolue, saluée par les applaudissements convenus d’un congrès sans surprise, pendant que vingt-six voix, lucides et téméraires, ont choisi de dire non à la perpétuation du même ordre. On prend les mêmes, et on recommence. Ce refrain n’a plus rien d’anodin ; il sonne désormais comme le symptôme d’un mal plus profond. Car le Maroc, lui, avance fort heureusement. Sa jeunesse invente, crée, s’impatiente, bouillonne même. Ses ambitions économiques, sociales et culturelles s’élèvent vers un horizon moderne. Mais ses représentants politiques, eux, demeurent figés, accrochés à leurs sièges comme à une rente symbolique, incapables de transmettre le flambeau.
Pourtant, le Roi, à plusieurs reprises, a appelé à un renouvellement de l’élite politique. Mais les partis, enfermés dans leurs logiques d’appareil, continuent de se regarder dans le rétroviseur, répétant les mêmes rituels, reconduisant les mêmes visages, perpétuant les mêmes équilibres stériles. Quatre mandats, seize années à la tête d’un parti qui fut jadis le cœur vibrant du socialisme marocain, la conscience éveillée des classes moyennes, le miroir des grands combats démocratiques, la voix d’un Maroc en quête de justice et de dignité. Aujourd’hui, ce cœur bat au ralenti. Le miroir des luttes passées s’est fêlé, et le reflet qu’il renvoie n’est plus celui d’un idéal, mais d’une nostalgie.
L’USFP, autrefois porte-voix du progrès, semble désormais incarner ce qu’elle combattait : une forme de conservatisme tranquille, une fidélité à ses figures plus qu’à ses valeurs. Et c’est peut-être là le plus grand drame de ce parti … s’être transformé, sans même s’en rendre compte, en ce contre-modèle qu’il dénonçait autrefois.
Le paradoxe socialiste
Il y a, dans la longévité politique de Driss Lachgar, quelque chose qui dépasse sa seule personne. Sa réélection, plus qu’un fait partisan, agit comme un révélateur, celui d’un système à bout de souffle, une panne collective, une inertie devenue structurelle, où l’idée même de renouvellement semble devenue bannie du vocabulaire politique marocain. À défaut de se renouveler, ils s’enferment dans une boucle où la légitimité devient une rente, et où la jeunesse, spectatrice frustrée, finit par se détourner de la politique.
D’ailleurs, les critiques adressées à Lachgar ne visent pas tant l’homme que le symbole : celui d’un parti jadis incandescent, aujourd’hui éteint sous le poids de sa propre histoire. Sa reconduction incarne l’impossibilité de refonder un projet socialiste crédible, enraciné dans les réalités contemporaines du pays. L’USFP, autrefois, laboratoire d’idées, flambeau d’une gauche audacieuse et conscience sociale d’un Maroc en mutation, s’est peu à peu transformée en appareil administratif. Elle gère plus qu’elle n’inspire, administre plus qu’elle ne rêve. Ses jeunes militants, souvent talentueux, engagés mais souvent désabusés, se heurtent à des structures fermées, à une hiérarchie figée, où les décisions se prennent en cercle restreint, où la loyauté vaut davantage que la compétence, et où la contestation, pourtant signe de vitalité, est perçue comme une trahison, et non comme une respiration démocratique.
Le scénario, hélas, est devenu un rituel. Les congrès se succèdent, les discours s’enflamment, les appels au renouveau se multiplient… et, à la fin, lentement mais sûrement, le cercle se referme, les mêmes visages reprennent place, sous les mêmes applaudissements fatigués et tout recommence. La politique marocaine semble piégée dans cet éternel retour où l’expérience se mue en alibi à l’immobilisme, et où la jeunesse, reléguée à la marge, au rang de spectatrice, finit par détourner le regard de la chose publique.
Pendant ce temps, le pays bouge, s’urbanise, s’ouvre, innove. Le Roi Mohammed VI l’a répété avec insistance : la modernisation du Maroc exige un rajeunissement de sa classe politique, une ouverture vers des profils capables d’accompagner le changement, non pas en façade mais en profondeur. Cet appel, loin d’être symbolique, traduit une vision, celle d’un Maroc du XXIᵉ siècle, en mouvement, en tension, en quête d’une gouvernance à la hauteur de son énergie sociale et de ses ambitions économiques, un impératif de cohérence entre l’élan du peuple et la lenteur de ses représentants.
Mais les partis, eux, sourds à cet appel, s’enferment dans une reproduction mécanique du même schéma avec les mêmes visages, les mêmes discours, les mêmes querelles de couloir. Ils confondent la direction avec la détention, comme si le pouvoir partisan était une rente transmissible à soi-même. Cette confusion est peut-être le mal profond des partis politiques marocains. On croit qu’assurer la continuité, c’est se maintenir, alors que la véritable stabilité ne naît pas de la stagnation mais du mouvement maîtrisé. Une institution qui ne se renouvelle pas ne se protège pas : elle s’étiole.
Car un parti politique, dans sa définition la plus noble, n’est pas un patrimoine, encore moins une forteresse. C’est un espace de débat, d’audace, de contradiction, un lieu où l’idée se renouvelle parce que la voix change. D’ailleurs, l’USFP n’est pas seule en cause, le phénomène est généralisé. À droite, à gauche, au centre … même immobilisme, même peur du vide, même méfiance envers la jeunesse. Malheureusement, aujourd’hui, la scène partisane marocaine ressemble davantage à un théâtre d’ombres qu’à une agora vivante. Chacun y rejoue son rôle appris, avec conviction peut-être, mais sans élan, sans surprise, sans foi véritable dans la relève, comme si la politique n’était plus un engagement, mais un métier à conserver.
Et c’est peut-être là que se niche le véritable drame et le vrai paradoxe socialiste. Celui d’un parti qui se réclame du progrès tout en redoutant le changement. Celui d’une gauche qui prêche l’émancipation, mais s’enchaîne à ses propres figures. Celui, enfin, d’une génération politique qui croit incarner la mémoire, alors qu’elle ne fait que retarder l’avenir.
Dieu merci, le Maroc, lui, n’attend plus. Il avance, avec ou sans eux.
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